Enregistré
à Montréal dans le mythique studio Hotel2tango, le second album de
Arlt - Feu la figure
- vient de sortir chez Almost Musique (chronique ici).
C'est rare qu'on ait
l'occasion d'entendre un disque de chansons françaises aussi
habitées, aussi sexy, aussi brutales. Sing Sing, Éloïse Decazes et
Mocke ondulent entre blues primitif, comédie amoureuse
et hypnose ericksonienne pour un résultat toujours plus proche du rock'n roll
ou de la transe chamanique que de la barbante chansonnette.
Depuis la sortie de
La langue fin 2010, Arlt a beaucoup fait tourner sa musique
hallucinée en France et à l'étranger. A rouler ainsi leur bosse et
les connaissant un peu, on se dit qu'ils ont dû faire des rencontres
déterminantes, trouver mille raisons d'enivrer leur musique et de
nourrir ce qui leur tient lieu de ménagerie totémique.
Compte-rendu précis et bavard du
transit par Sing Sing, chanteur, guitariste bras-cassé et idéologue
du trio.
Entre La langue et Feu la figure qui vient de sortir, un an et demi a passé. On perçoit des changements notables. Dans cet intervalle, quelles expériences positives ont eu une influence sur votre musique ?
C'est
difficile à évaluer. Pas mal de voyages, plus ou moins longs, plus
ou moins lointains, motivés par les tournées, notamment. En
conséquence de quoi, pas mal de rencontres multiples avec des gens
d'horizons assez divers (je ne parle pas seulement de géographie,
attention), tout ça qui fait qu'on se confronte chaque jour un peu
plus à ce qui diffère de soi. On s'y affine (et en même temps on y
gagne un peu en ampleur sans doutes, ce qui est paradoxal et joyeux).
On se laisse débarrasser de ce qui en soi encombre. On devient plus
spacieux à mesure qu'on se purge. On s'allège. On gagne en mobilité
et en vitesse. Je parle en termes généraux parce que je n'ai pas
d'exemples précis (ou alors beaucoup trop et je n'aime pas choisir).
A
l'inverse, qu'avez vous vécu de désagréable qui vous aurait permis
de vous remettre en question et vous aurait renforcé ?
Se
remettre en question sans relâche, ça me parait la moindre des
choses. J'espère bien qu'on s'y applique, la plupart du temps.
Après, je ne sais pas avec quels résultats…
En
tout cas, ça n'est en aucun cas motivé par des expériences
désagréables (les expériences désagréables font partie du jeu,
elles importent peu). Bien plutôt par des appétits. Tout ce que tu
lis, vois, entends, chouraves ou qui t'es donné, si tu as un minimum
le goût du déplacement, t'invites à rebattre les cartes de ton
jeu, à ne pas rouiller sur tes petites certitudes. Et puis ce qui
nous intéresse, c'est la beauté du tremblement, du déséquilibre,
de la métamorphose. On est dans un état transitoire permanent, si
tu veux. Aussi parce qu'il y a des échanges permanents entre nous,
avec nos points communs et nos différences. Il s'agit d'éviter
de trop camper sur nos positions. Du large, du large !! De l'ampleur,
De l'horizon ! Du mouvement, bordel de merde!
Ce
qui nous renforce? Je ne sais pas. Mais tout nous pousse.
Le
guitariste Mocke vous a rejoint. Qui est-il ? Pourquoi et comment
faites-vous les choses avec lui ?
C'est
le guitariste (auteur et compositeur) du groupe Holden. Il a joué
avec des tas de gens, notamment Dogbowl que nous adorons. Il vient à
priori d'un monde vaguement plus pop que nous, ce qui nous intéresse
parce que ça donne de la latitude à notre petit vocabulaire et que
décidément, les catégorisations sont une nuisance. En tout
cas, je trouvais intéressant d'importer son jeu, assez onirique,
dans un contexte plus brutal, en tout cas plus anguleux que celui qui
était le sien plus généralement, en tout cas dans Holden (où il
aime à infuser des matières toxiques dans un format assez pop,
donc). Ceci dit, nous nous sommes quand même rencontrés dans
un bar où il jouait avec un groupe de musique Old Time (country,
ballades des Appalaches, vieux blues, chansons d'ivrognes, répertoire
tout à fait brutal et anguleux et qu'il connait sur le bout des
doigts). Et c'est lui , en plus de ça qui nous a communiqué sa
passion pour Sun Ra, Albert Ayler, Sonny Sharrock. Sa mémoire est
prodigieuse et l'étendue de ses goûts aussi. Du vieux rock n' roll
déglingué aux musiques ethniques, du classique (Malher, Schubert)
aux musiques électroniques abstraites. Plutôt qu'érudit il est
surtout rêveur, curieux, gourmand. Tout sert à son imagination qui
est chez lui comme un sixième sens. Il n'est pas question chez lui
de cet œcuménisme vague qui sévit partout , de ce principe de
récitation informe. Rien à voir avec un patchwork disons…
postmoderne. On serait plus proche avec lui de ce réflexe
dit "anthropophage" tel que théorisé par les musiciens
brésiliens. Et encore, c'est plus enfantin que ça. Plus naturel.
Tu
dis qu'il nous a rejoint mais tu sais, Mocke joue avec nous depuis
bien avant le premier album (qu'il a d'ailleurs produit). On parle
toujours de Arlt comme d'un duo, d'une part parce qu'on a souvent
donné des concerts à deux, c'est vrai (les deux formules nous
plaisent et éclairent chacune le "projet", comme on dit
désagréablement de nos jours, d'une lumière différente), d'autre
part parce qu'il y a une projection parfois très forte sur le couple
que nous formons Éloïse et moi (j'imagine) et qui attire les
interprétations sur l'aspect intime, amoureux de la formation. Et
puis bon, il ne prend pas part aux interviews, apparaît rarement sur
les photos. C'est un garçon d'une discrétion exemplaire. Et dès
qu'il ne s'agit plus de musique, il commence à se faire chier comme
un rat mort.
Jusqu'à
Feu la figure, il intervenait presque comme un invité. Il se
greffait sur des chansons qui avaient été écrites sans lui. Cette
fois, il a pris part à l'élaboration des morceaux dès le début.
J'arrivais avec quelques mots, une suite d'accords, une possible
humeur, une température, une amorce de forme. Et tous les
trois nous improvisions à partir de ça, jusqu'à ce que la chanson
prenne corps. Il propose de nombreuses pistes, les fait dialoguer
entre elles. Mais souvent n'en garde que les pointillés. Je le
considère comme un arrangeur, au même titre que je sais pas, moi,
un Vannier, un Colombier. Mais un arrangeur télépathe qui
déposerait directement ses parties dans l'imagination de l'auditeur
sans avoir besoin de les jouer complètement. En amorçant des trucs,
en jouant avec la mémoire de l'auditeur, avec la faculté de
celui-ci à composer lui-même à partir de ce qui lui est évoqué.
Mocke, nous lui assignons la place de l'orchestre. Un orchestre
fantôme. Je le répète tout le temps mais c'est une idée qui me
plaît beaucoup. Sa guitare contient la présence spectrale des
cordes, des cuivres, du piano. Mais il est aussi, et heureusement, le
gratteux qui envoie du riff et du solo tordu avec lequel je peux
dialoguer, improviser, prendre mon pied, faire le con. Je dialogue
désormais à la guitare avec lui autant que je dialogue vocalement
avec Éloïse. Qui elle-même, dialogue de plus en plus avec nos
instruments, là où elle se concentrait auparavant plus sur ma voix
et sur le texte. Le chant d’Éloïse, lui, contient les orgues, les
flûtes, en plus d'être la voix centrale.
D'autres
rencontres ont-elles infléchi votre musique ?
Elles
sont nombreuses. Je ne pourrai pas citer tout le monde. Pour se
borner aux musiciens rencontrés depuis l'enregistrement de La
Langue, il y a bien sûr eu Josephine Foster (qui façonne peu
à peu, sous une forme apparemment traditionnelle de songwriting à
l'américaine, un objet singulier, dont l'épure s'ouvre à tous les
vents - lieds de Schubert, folk rural, chanson espagnole,
psychédélisme dru, comédie musicale, free-jazz - et ce
faisant trace des pistes réellement inédites). Il y a eu Colleen,
pour le même genre de raison (faculté à établir une forme
minimaliste ultra-personnelle et toujours recommencée, nourrie par
une infinité de vocabulaires patiemment, sensiblement et
intelligemment filtrés). Je citerai aussi Delphine Dora qui a dirigé
des improvisations musicales avec des enfants à partir de comptines
que j'avais écrites pour l'occasion, ce qui dans une certaine mesure
m'a permis d'envisager une façon d'écrire plus rapide et plus
souple que jamais. Les divers disques spontanés de Delphine sont de
toute beauté. Et puis Arrington de Dyoniso dont le free punk
compliqué de rituels chamaniques nous a conforté dans nos petites
recherches de transes (toutes proportions gardées), Le Ton Mité
dont les petites architectures fragiles aiguisent la perception, font
rire et réinstallent l'étonnement des choses au cœur de la
chansonnette, La Squadra Zeus dont le rapport frontal, sorcier et cru
aux musiques populaires nous ont redonné le goût des musiques qui
font danser les vieux et les enfants. Eric Chenaux, bien sûr, pour
mille raisons. Mickaël Mottet (d'Angil and the Hiddentracks) dont la
pensée et le regards sont toujours "relevants" pour user
d'un terme qu'il affectionne. Et plus récemment encore Tori et Reiko
Kudo, moins d'un mois avant d'entrer en studio. Terrible choc. Et
puis Radwan Ghazi Moumneh, musicien, producteur, co-fondateur de
l'Hotel2Tango qui a enregistré le disque qui présentement nous
occupe. Son influence a été magnétique.
Des
lectures, des disques, des films : quels fantômes
sont venus vous hanter récemment ?
Je
me bornerai à quelques objets ayant hanté Feu la figure,
d'une façon ou d'une autre.
Quelques
lectures:
-
Les techniciens du sacré, une anthologie consacrée par
Jerome Rothenberg aux poèmes chamaniques, dits "primitifs"
ou tribaux de tous pays et à leurs corrélations possibles avec la
poésie moderne.
-
Cadavre grand m'a raconté, une anthologie des fous et crétins
du nord d'Ivar Ch'vavar.
-
La chronique fabuleuse d'André Dhôtel
-
Haïkus de prison de Lutz Bassman
-
La tourmente de Vladimir Sorokine
-
100 poèmes d'Ernst Herbeck
-
Le territoire du crayon de Robert Walser
-
Le bestiaire d'Aloys Zötl
-
Le promontoire du songe de Victor Hugo
-
L'envers de l'esprit et Devant la parole de Valère
Novarina
-
Lieu-dit l'éternité d'Emily Dickinson
-
Le canal exutoire de Charles-Albert Cingria
-
Largeur des tempes de Patrick Reumaux
-
So long Luise et Les Ales de Céline Minard
-
Le blog Les maîtres fous
-
Le blog La main de singe
Les
divers écrits (et les œuvres) de James Ensor, Paul Klee, Pierre
Alechinsky, Lucebert.
Quelques
films:
-
Je ne suis pas morte de Jean-Charles Fitoussi (fait dans la
matière même du rêve, du conte et de l'étonnement. Une
célébration du beau hasard et du futur antérieur)
-
Oncle Boonmee (celui qui se souvient de ses vies antérieures)
d'Apichatpong Weerasethakul (éloge sincère des fantômes, le film
se dédouble et se multiplie et dévore le spectateur)
-
L'épée et la rose de Joao Nicolau (chante de bout en bout et
prend tous les risques, y compris celui d'égarer son monde, au nom
de la flibuste)
-
La grotte des rêves perdus de Werner Herzog (pour des raisons
évidentes).
-
Adieu plancher des vaches d'Otan Iosseliani (grommelle et
titube, désoriente et fait beau).
-
Du soleil pour les gueux d'Alain Guiraudie
-
Le Plein pays d'Antoine Boutet (creuse des galeries, soliloque
et hypnotise).
Quelques
disques:
-
Backporch Hillbilly Blues d'Henry Flynt
-
Rice field silently ripping in the night de Reiko Kudo
-
Enjoy your life de Jad Fair and The Tenniscoats
-
Odyshape des Raincoats (réédition)
L'intégrale
ou presque du label Mississippi Records (notamment les disques de
Marika Papagika, Abner Jay, Thaï Orchestra, Joseph Spence, des
compilations de vieux gospel bizarrement lubrique, de country sans
les dents, de High Life mal enregistré, de rebetiko insalubre, de
chansons mexicaines. Et cette mixtape fantastique "Classical
music for and by people" où l'on entend des amateurs jouer du
classique avec plus de cœur que de dextérité, ou bien Moe Tucker
écorcher Bach sur une guitare électrique. Tout ça a nourri nos
imaginaires de façon absolument certaine même si j'ignore dans
quelle mesure ça s'entend).
A quoi vous marchez ? A quoi vous dansez ?
En
ce qui me concerne et dans le désordre: whisky tourbé, cigarettes,
sexe, prières sans objet, fou rire, rêveries, fatigue, insultes,
babil idiot, vagabondages, répétitions, interminables énumérations.
Avez-vous
peur parfois ? Vous sentez-vous fragiles ?
Peur,
oui, parfois, mais de moins en moins. Fragile en permanence mais ça
c'est beau. Ainsi qu'exalté, désirant, délirant, stupéfait,
malhabile, colérique et reconnaissant. Tout en même temps.
Peux-tu
me parler de votre tournée au Japon avec Tori Kudo ?
Tori
Kudo dont je suis fan depuis très longtemps (je collectionne tout ce
que je trouve de son collectif miraculeux Maher Shalal Hash Baz qui,
pour aller vite, évoque à la fois Mayo Thompson et Syd Barrett, un
Velvet Underground solaire, Erik Satie, Albert Ayler et Cecil Taylor,
Captain Beefheart, Jac Berrocal et Jacques Thollot…) a rédigé les
notes de pochette de l'édition japonaise de La langue, à ma grande
surprise, et à ma grande joie. D'après Kazuki Tomita, qui s'occupe
du label (Windbell Records où l'on trouve aussi les disques de
Colleen et de Jospehine Foster, entre autres) m'a confié que Tori
n'acceptait ce genre d'exercice que très rarement. J'en suis
d'autant plus heureux.
On
y a tourné en Décembre. 15 jours d'égarement absolu, à prendre
des trains à travers les villes et les campagnes. Nous jouions
chaque soir dans des clubs, des temples, des galeries. Tori ouvrait
pour nous et je l'accompagnais à la guitare. Il déclamait des
poèmes, chantait, dansait, sautait sur place, renversant toutes les
perspectives. Je ne savais jamais à l'avance ce que j'étais censé
faire. Avec une gravité joyeuse irradiante, ce type a l'air de
refonder à chaque instant les grandes forces déstabilisantes,
féroces de l'enfance. Ou plutôt de réactiver les possibilités de
l'enfance à travers les enjeux réels de l'adulte. Je ne parle là
ni de régression, ni de naïveté, ni de niaiserie gamine,
entendons-nous bien. Mais de ferveur, de désordre et de
concentration. Et par trois fois, son épouse Reiko nous a rejoint.
Son récital de chansons est ce que nous avons entendu de plus
bouleversant et beau depuis longtemps. Tori l'accompagne au piano
chahuté, elle chante avec un naturel minéral et tout y est aussi
familier que complètement étrange. On a l'impression de connaitre
ça depuis toujours (comme disons "au clair de la lune" )
et en même temps il semblerait que tout nous apparaisse dans la
fraicheur, l'étonnement, le ravissement des premières fois. Tout
s'y croise sans s'affronter: calme et véhémence, tristesse et joie.
Je n'avais jamais ressenti une telle grâce chez qui que ce soit.
Tori et Reiko m'ont renseigné, geste après geste, sur ce qu'était
la présence au monde dans tout son vif, son intelligence, son
rugueux, son sensible. Voilà. Tu comprendras que je suis tombé
amoureux, complètement. Il est très difficile de commenter des gens
pareils. On ne peut que les chérir et les louer. A part ça, Tori
improvisait sur notre répertoire aussi. Au piano désaccordé, à la
guitare électrique, aux castagnettes ou en bousillant des chaises à
coups de pieds. C'était sauvage, toujours inattendu. C'était drôle
et c'était beau.
Peux-tu
me parler de la conception du disque, de son écriture et de son
enregistrement ?
Les
chansons, pour moitié, sont nées presque directement sur scène.
Enfin, arrivées sur scène à l'état d'embryons et grandies là,
soir après soir dans l'électricité de la confrontation directe
(des uns avec les autres au sein du groupe, du groupe avec les
auditeurs, du groupe et des auditeurs avec l'espace communément
créé). Écrites pour la scène et par la scène donc. Ce qu'on
cherche en premier lieu : nous laisser agir physiquement (y compris
dans l'immobilité hein, je n'ai pas dit nous agiter) par la parole
et par le rythme. Puis donner une forme à tout ça qui soit
partageable. Organiser un peu, tirer les fils, sculpter. Voir ce qui
est susceptible de signifier quelque chose, ou éventuellement
d'amorcer des débuts de récit possible. Pas un récit au sens
strict bien sûr mais je ne sais pas quoi dire d'autre. Nous ne
sommes pas vraiment des story-tellers. Ou alors par bribes, par
éclats. Une chanson pour nous, c'est un espace électro-magnétique
où activer ensemble des fragments divers, chinés plus ou moins
consciemment parmi les rebuts d'à peu près tout (littératuraille,
rock n'roll, poésie, imagiers, religions bricolées, contes
populaires, magie blanche et rouge, humour noir et rose, musiques de
danses, conversations, pop et logorrhée des fous…)
Ce
qui importe pour moi, au début du processus, en tout cas, n'est pas
tant ce que je vais dire que comment je vais le dire. Et je ne parle
pas de style. Je me contre-fous du style et je l'emmerde. Je parle de
comment ça s'articule ou s'articule pas, dans la bouche, comment ça
se profère, se murmure, se grommelle, se retient ou s'élance. Et
s'emberlificote dans la musique, pour le meilleur et pour le pire.
Avec nos maigres moyens pour ça (ce français rabougri, à première
vue tellement rationnel et duraille à faire danser. Comment lui
re-donner du punch, du sang, du vrai mystère? Ne pas le figer
complètement dans ce qu'il désigne? On ne sait toujours pas bien,
d'ailleurs. Chanter, c'est faire l'expérience inlassable de ça. Tu
commences par aller brûler ton souffle en guenilles de phrases
et tu vois si ça danse, tu électrocutes et tu tabasses un peu le
tout avec ce que tu as sous la main (des guitares, un marteau) et
puis voilà. Tout le reste (le discours) je le répète, s'organise
après coup. Ce qui est une étape importante, d'ailleurs si on veut
que l'auditeur puisse trouver la liberté de se raconter quelque
chose à partir de ce que tu profères. Par exemple, on a réalisé
au bout d'un moment qu'il était souvent question d'animaux
dans les chansons qui nous apparaissaient. Ces animaux sont venus
tous seuls - je jure que c'est vrai. Nous avons commencé, peu à
peu, à les considérer comme des totems, des éléments de fiction,
des présences extraordinaires, des sésames ouvrant sur le
fantastique (un fantastique de proximité puisque aucun animal ici
n'est imaginaire). Par la simple incongruité de sa présence, je
crois, l'animal relativise l'omniprésence de la figure humaine et
inverse l'échelle de valeur. C'est pour nous une façon oblique,
ludique, inquiète et joyeuse de considérer le réel. Parce qu'il
s'agit bel et bien de se coltiner le réel. Le fantastique que
j'évoquais n'a pas la fonction d'un quelconque refuge dans un autre
monde où je ne sais quoi. C'est un moyen comme un autre
d'appréhension du réel qu'il faut secouer tant qu'on peut pour voir
à la fin ce qu'il en reste. Mais passons.
L'enregistrement
du disque à Montréal, s'est fait plutôt vite (5 jours) dans la
caillante, la fatigue et l'ivresse. Avec Radwan Ghazi Moumneh, donc,
qui est un type intelligent, spontané, subtil et délicat. Je crois
qu'il a su capter ce qu'on était en chair, en os et en tremblements
et le conceptualiser dans un espace et une durée. Nous sommes ravis
par sa production à la fois sophistiquée (sons fantômes, mix qui
bouge tout seul, matière), frontal et âpre (voix qui crachotent,
guitares qui grincent, présence physique palpable et vraie dynamique
d'ensemble).
Et
maintenant ? Vous posez-vous la question des suites ?
Pas
vraiment. Pas encore.
On
commence à rêvasser à de petites choses. J'aimerai écrire
d'autres choses que des chansons. On aimerait enregistrer un disque
de Arlt avec Tori Kudo. Et aussi un disque de reprises (on
commence à y penser). J'aimerai expérimenter des choses,
légèrement, simplement, sans programme, sans mot d'ordre ni
pression d'aucune sorte. Ouvrir des perspectives nouvelles. Ne pas
nous crisper sur Feu la figure, être capables de nous laisser aller
à des tas de petits trucs récréatifs, divertissants, qui ne
nécessiteraient pas forcément de sortie "officielle". On
verra bien, il y a déjà pas mal à faire avec le présent. On va
tourner un peu, retourner en voyage. C'est excitant.
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