mardi 24 avril 2012

Arlt : illumination


 
Feu la figure, deuxième album de Arlt est sorti le lundi 23 mars. Retenir cette date. Dans l'histoire de la musique populaire en France (vous saluerez l'effort de contorsion pour ne pas parler de chanson française), ce n'est pas si souvent qu'on peut dater précisément un événement esthétique de taille. La dernière fois, c'était peut-être pour La fossette de Dominique A, il y a vingt ans. Vous avez noté la date ?
En tout cas, on souhaite à Éloïse Decazes et Sing-Sing, les co-pilotes de Arlt, de ne pas avoir le même parcours que le Nantais, en déclin freiné des quatre fers suivi d'une chute libre dans un puits sans fond. Ils sont quelques-uns ces deux dernières décennies à avoir démarré sur les chapeaux de roue, la plupart issus de la même écurie, avant de se ramasser la gueule, pauvres Icare. A trop jouer au génie, on se brûle les ailes de l'inspiration et on n'a plus qu'à ramper dans la fange médiocre du rock à guitares lavasses et de la folk-opérette, courant après les modes, usant désespérément de la méthode Coué : "Je vais faire un album dur, je vais faire un album doux, je vais faire un album dingue". Comme on sait, ça n'a pas marché même si ça a distrait un temps la critique ventre mou et fait vendre du papier soit-disant incorruptible.
Mais revenons à nos deux tourtereaux. Eux avaient commencé fort, plaçant la barre très haut avec l'ineffable La langue, sortit en 2010. Débuter tout là-haut là-haut, on avait quelques raisons de se faire du mouron. Et c'est l'inverse qui se produit. On en est tout chamboulé.
Des litanies amoureuses? Amoureuses toujours, mais plus cradasses, plus graveleuses encore, en même temps que plus aimantes et plus sensuelles. Un goût prononcé pour la transe ? OK, mais on franchit là une marche de taille, ou plutôt on ne la cherche plus, la transe, on la trouve, ça fait une sacrée différence. Le pistolet ou Chien mort, mi amor : de véritables tornades derviches comme on n'en entend que dans les étables du free-rock mondialisé. Je parle là de musiques méprisées des organes officiels, condamnées - et c'est tant mieux - aux marges du territoire pop-moderne-folk-rockuptible balisé. Tant mieux en effet car ces musiques on se les garde, de ce côté-ci de la barrière happy few, dans les champs magnétiques de la joie vécue sans filtre.
Si on veut parler français, Arlt est le couple le plus sexy depuis Catherine Ringer et Fred Chichin. Et si on voulait causer rock, il y a du Beat Happening là-dessous. Quant à faire des rapprochements plus universels, on s'amuserait bien à imaginer un duo Bertran de Born / Brigitte Fontaine (Ah ! quand même !), soit un troubadour mal embouché roucoulant de sa plus mâle voix sous les fenêtres d'une dame de haut rang, désirable, un rien illuminée, drôle en même temps que super classe. Éloïse Decazes sublime un registre vocal qu'on l'imagine pratiquer au long du jour, appelons ça le fredon, la chanson du quotidien, celle qu'on ressasse vous et moi la bouche presque close et sans talent. Elle, stimulée par son inusable prétendant, porte ce fredon au rang d'art majeur.
Longue vie à Arlt ! Qu'ils soient heureux et nous fassent encore de beaux petits disques, toujours plus loin, toujours plus haut. Petits disques deviendront grands.

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