lundi 30 avril 2012

hydrophobie rabique (1)


Johanna Ost. La Bête du Gévaudan. Gouache.


Il y a quelques mois, mon voisin et ami, Gilbert Mestre, le libraire paysan, me raconta une histoire de loup qui me fit cauchemarder des semaines durant. Son arrière-grand-père Joseph Antoine Mestre, médecin de campagne à Thérondels dans le Carladez, au nord du département de l'Aveyron, fut appelé à visiter et soigner trois personnes "dévorées vers les trois ou quatre heures" le 27 mars 1851. Voici ce qu'il écrivit dans son "rapport médical sur trois cas d'hydrophobie rabique déterminée par la morsure de loups enragés" :
"Pendant tout le mois de mars, en effet, on avait vu dans les plateaux découverts de cette vaste commune des loups marchant en bandes et attaquant les troupeaux, mais la journée du 27 fut la plus néfaste par leurs attaques à l'homme. Il est digne de remarquer que c'est dans la saison qui suit l'astre vénérien, qu'ils sont les plus aguerris et qu'il deviennent prédisposés à la rage. Aussi, vers le milieu du jour, deux de ces terribles carnassiers attaquèrent-ils séparément diverses personnes et notamment l'aîné Boisset et sa fille qui se trouvaient sur le plateau. Repoussés sur tous les points, ces animaux furieux s'engagèrent dans le bois où une fille qui buvait à une fontaine les vit passer à côté d'elle, sans en être attaquée, sans doute détournés par la vue de l'eau ou dérangés, au moment de l'accès hydrophobique. L'un était d'un blanc fauve et de forte taille, l'autre plus petit et de couleur grise.
Mais à un court intervalle de temps, au fond du bois, Marie Bousquet, épouse de François Boisset, âgée de 45 ans, habitant un hameau bâti entre le bois et le moulin de Fajole, ramassait un fagot suivie de son chien. En entendant ses aboiements plaintifs, elle se tourne et le voit étreint sous les griffes du petit loup ; elle veut le défendre ; le loup s'élance alors sur elle, lui déchire sa robe, la renverse, semble se retirer pour s'élancer de nouveau, quand elle se relève. Dans leurs chutes successives elle prend une fois le dessus et retient le loup sous son bras droit, le renverse sous elle en lui serrant la mâchoire inférieure avec le pouce de la main gauche introduit dans sa gueule ; l'animal furieux se dégageant, ils se lèvent ensemble pour lutter de nouveau jusqu'à ce que rentrant à son domicile par une retraite défensive, le loup dans une dernière agression lui saute à la tête et lui ronge sa coiffure en l'emportant.
Palpitante de frayeur et de fatigue, Marie Bousquet, se trouve mal en rentrant au foyer domestique. Sa fille et son beau-père l'apaisent sans connaître le sujet de ses angoisses.
Ce dernier, Guillaume Boisset, âgé de 82 ans, mais vieillard vert, propriétaire du moulin va appeler du secours ; mais il est saisi à la sortie par le loup de forte taille qui le renverse et lui mort la tête. Le vieillard atteste que l'autre loup était présent au combat sans y prendre part ; seulement il emporte au loin le chapeau et le bonnet en le rongeant.
La meunière, Marguerite Casterousse, épouse de Jean-François Boisset, fils aîné, belle fille et belle-sœur des deux précédents, âgée de 56 ans et prévenue des désastres de sa famille, veut aller à son secours, mais à moitié chemin, elle est assaillie par le loup de petite taille qui se jette sur elle avec plus d'acharnement que sur sa belle-sœur. La lutte est épouvantable d'attaque et de résistance ; une infinité de plaies à la face et aux mains attestent l'énergie de ce combat, mais heureusement un de ses beaux-frères, novice à la Trappe, averti du danger par le vieillard son père, vient, armé de pieux, l'arracher à la fureur de cet animal. Ce loup grattait la terre en poussant des hurlements.
Tel est le récit des trois victimes de ce désastre. Chacune a fait le sien, puisque chacune a ignoré jusqu'à la fin le combat des autres.
C'est dans ce bois que M. Volpelier, jeune huissier du canton, voyageant pour son ministère, rencontre le loup qui saute sur son chien avec fureur ; il lui tire au cœur ; l'animal chancelle, tombe, mais se débat encore ; saisi d'effroi à la vue du carnage qu'il vient d'opérer, il lui tire un coup à la tête qui l'étend raide mort. Pénétré de l’œuvre philanthropique qu'il vient d'accomplir, il fait remettre sa proie au garde-champêtre de la commune. Vérifié le lendemain par nos soins, ce loup est déclaré aux trois victimes auxquelles on le représente, l'auteur du drame sanglant de la veille."
Voilà pour la partie du récit consacrée aux attaques. La suite est plus effroyable encore. Il s'agit de la description clinique, écrite dans une langue remarquablement exacte et évocatrice, de l'affreuse agonie de trois des victimes. On imagine qu'à assister à des accès rabiques tels que relatés dans le récit du Docteur Joseph Antoine Mestre et que nous recopierons ici dans quelques jours, certains aient pu imaginer que des hommes prennent parfois l'apparence de bêtes souffrantes et enragées.





Michael Hurley, Werewolf song

Oh le loup-garou, oh le loup-garou
Qui vient ainsi, pas à pas
Sans même casser les branches
Par où il passe
 
Vous pouvez entendre sa longue plainte au loin à travers la lande
C'est le hurlement d'un loup-garou qui se sent misérable

Il sort le soir, quand les chauves-souris sont en vol
Et,
avant que les oiseaux chantent, il a tué une jeune fille
 
Pour le loup-garou, pour le loup-garou
Ayez de la sympathie
Parce que le loup-garou, c'est quelqu'un
Tout comme vous et moi


(...)

dimanche 29 avril 2012

dimanche truite


James Prosek, Brown trout - salmo trutta dentix


Il a beaucoup plu cette nuit. Ce matin, les eaux du Dourdou sont grosses et chargées d'argile - rouges comme le gré. Il est trop tard pour prétendre attraper une truite. Dans quelques jours, quand le ruisseau aura pris une teinte presque grise, le moment sera à nouveau venu de se prendre pour l'écrivain pêcheur de truite en Amérique.
"Je lançai un œuf de saumon et le laissai dériver vers le rocher et VLAN ! une bonne touche ! et j’avais le poisson au bout de la ligne et il filait dur dans le courant, suivant un angle et restant au fond et tirant vraiment dur, franc et sans compromis, et soudain le poisson sauta et pendant une seconde je crus que c’était une grenouille. Je n’avais jamais vu un poisson comme ça.
Nom de Dieu ! Quel bordel !
Le poisson fila au fond de nouveau et je pouvais sentir son énergie vivante remontant en hurlant le long de la ligne vers ma main. La ligne était comme du son. C’était comme une sirène d’ambulance qui viendrait droit sur moi, le gyrophare rouge lançant des éclairs, et qui repartirait à nouveau et soudain décollerait et deviendrait une sirène de raid aérien.
Le poisson sauta encore quelques fois et ressemblait toujours à une grenouille, mais il n’avait pas de pattes. Il a fini par se fatiguer et se ramollir, et je l’ai tiré dans une éclaboussure de la surface de l’eau vers mon épuisette.
Le poisson était une truite arc-en-ciel de douze pouces avec une énorme bosse sur le dos. Une truite bossue. La première que j’aie jamais vu. La bosse était probablement due à une blessure que la truite aurait reçue quand elle était jeune. Peut être qu’un cheval l’avait piétinée ou qu’un arbre était tombé pendant un orage ou que sa mère avait frayé où ils étaient en train de construire un pont.
Cette truite avait quelque chose d’admirable. Si seulement j’avais pu en faire un masque mortuaire. Pas de son corps, mais de son énergie. Je ne sais pas si quiconque aurait pu comprendre son corps. Je le mis dans mon panier.
Plus tard cette après-midi là, quand l’obscurité gagnait les bords des cabines téléphoniques, j’ai pointé, quitté le torrent et je suis rentré chez moi. J’ai mangé cette truite bossue au dîner. Panée à la farine de maïs et frite au beurre, sa bosse était aussi douce qu’un baiser d’Esmeralda." (Richard Brautigan, La truite bossue in La pêche de la truite en Amérique, éditions 10/18)
Si vous n'avez jamais pêché la truite, sachez qu'il n'y a rien de fantaisiste à ce texte. Tout y est des émotions qu'on ressent, du moment où on se connecte au poisson jusqu'à celui où on le mange.

Anne-Sophie Théron, La truite, 10 façons de la préparer, éd.. de l’Épure

samedi 28 avril 2012

un dernier jardin


 


Cinéaste post-punk, auteur de films aussi étranges que The Garden ou Jubilee, Derek Jarman a consacré les dernières années de sa vie à la conception d'un jardin près de la centrale nucléaire de Dungeness dans le Kent.
"En 1986, un après-midi de printemps où nous traversions le Kent en voiture à la recherche d'un pré de jacinthes des bois à filmer en super-8 pour le film qui deviendrait finalement Le Jardin, Derek proposa que nous mangions au Pilot Inn de Dungeness, un établissement censé servir le meilleur fish & chips de toute l'Angleterre. Charmés par le paysage, nous avons décidé de visiter le vieux phare. A un moment donné Derek nous a dit : "Je connais un joli cottage de pêcheur là-bas. S'il est en vente, je l'achète !" Nous nous sommes approchés de la bâtisse laquée noir aux fenêtres jaune canari, et nous avons vu la pancarte For Sale verte et blanche : Derek ne pouvait plus se rétracter.
Le jardin a démarré de façon accidentelle : un pieu lissé par les flots, surmonté d'un os ramassé sur la plage, servit d'abord de tuteur à une aubépine transplantée là ; un long silex trouvé à marée basse a ensuite protégé un jeune chou marin des pieds étourdis…" (Keith Collins in Derek Jarman, Une dernier jardin, éditions Thames & Hudson)

vendredi 27 avril 2012

humeur Moondog



Qui a dit que l'orgue était un instrument ingrat ? A l'automne prochain, Paul Jordan (orgue d'église) et Stefan Lakatos (trimba) joueront Moondog en France. Les deux musiciens exposent brièvement l'importance du compositeur américain disparu en 1999 dans une brève entrevue accordée à la BBC.
Moondog aurait composé plus de 300 madrigaux, passacailles, canons, musiques pour orchestres et plus de 80 symphonies. Un travail de défrichage et de promotion a été entrepris par Amaury Cornut, entièrement dévoué à la cause du Ménestrel de la 6ème avenue. On ne se lasse pas de cette musique quiète aux développements infinis et on comprend aisément qu'écouter Moondog devienne l'affaire d'une vie.




jeudi 26 avril 2012

trip



Dans la série la quarantaine révolu : La cicatrice intérieure de Philippe Garrel. Sorti en 1972, le septième long-métrage du cinéaste héroïné (il ne s'en est jamais caché) est un objet difficile à cataloguer. Nourri à la tradition alchimique, envoûté par l'harmonium et les incantations amoureuses de Nico, La cicatrice intérieure donne à voir les déambulations lunaires d'une poignée de personnages dans des paysages désertiques : Garrel lui-même, la grande Nico, son fils Ari Boulogne - "Je suis le petit chevalier" - et l'incandescent Pierre Clémenti. Un cinéma à l'os, sans scénario, sans dialogues, sans éclairages, sans moyens. On se dit qu'un peu plus et le film aurait pu se faire sans caméra, sans pellicule. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l'exceptionnelle maîtrise du cadre de Philippe Garrel tend à un effacement total du point de vue et du dispositif. La réalité convoquée ici est donnée à voir sans médiation et le spectateur se retrouve à déambuler au côté des personnages égarés. Le sentiment de perte - des repères géographiques, de la notion du temps, de l'être aimé, de l'objet de la quête, etc - est tel, que visionner La cicatrice intérieure peut être envisagé comme une expérience psychédélique et pour peu que les conditions soient réunies et qu'on soit prédisposé à ce type d'expérience, on aura l'occasion de rentrer dans un état de transe hypnotique. Pourquoi s'en priver ? C'est un phénomène tellement rare au cinéma.

mardi 24 avril 2012

Arlt : illumination


 
Feu la figure, deuxième album de Arlt est sorti le lundi 23 mars. Retenir cette date. Dans l'histoire de la musique populaire en France (vous saluerez l'effort de contorsion pour ne pas parler de chanson française), ce n'est pas si souvent qu'on peut dater précisément un événement esthétique de taille. La dernière fois, c'était peut-être pour La fossette de Dominique A, il y a vingt ans. Vous avez noté la date ?
En tout cas, on souhaite à Éloïse Decazes et Sing-Sing, les co-pilotes de Arlt, de ne pas avoir le même parcours que le Nantais, en déclin freiné des quatre fers suivi d'une chute libre dans un puits sans fond. Ils sont quelques-uns ces deux dernières décennies à avoir démarré sur les chapeaux de roue, la plupart issus de la même écurie, avant de se ramasser la gueule, pauvres Icare. A trop jouer au génie, on se brûle les ailes de l'inspiration et on n'a plus qu'à ramper dans la fange médiocre du rock à guitares lavasses et de la folk-opérette, courant après les modes, usant désespérément de la méthode Coué : "Je vais faire un album dur, je vais faire un album doux, je vais faire un album dingue". Comme on sait, ça n'a pas marché même si ça a distrait un temps la critique ventre mou et fait vendre du papier soit-disant incorruptible.
Mais revenons à nos deux tourtereaux. Eux avaient commencé fort, plaçant la barre très haut avec l'ineffable La langue, sortit en 2010. Débuter tout là-haut là-haut, on avait quelques raisons de se faire du mouron. Et c'est l'inverse qui se produit. On en est tout chamboulé.
Des litanies amoureuses? Amoureuses toujours, mais plus cradasses, plus graveleuses encore, en même temps que plus aimantes et plus sensuelles. Un goût prononcé pour la transe ? OK, mais on franchit là une marche de taille, ou plutôt on ne la cherche plus, la transe, on la trouve, ça fait une sacrée différence. Le pistolet ou Chien mort, mi amor : de véritables tornades derviches comme on n'en entend que dans les étables du free-rock mondialisé. Je parle là de musiques méprisées des organes officiels, condamnées - et c'est tant mieux - aux marges du territoire pop-moderne-folk-rockuptible balisé. Tant mieux en effet car ces musiques on se les garde, de ce côté-ci de la barrière happy few, dans les champs magnétiques de la joie vécue sans filtre.
Si on veut parler français, Arlt est le couple le plus sexy depuis Catherine Ringer et Fred Chichin. Et si on voulait causer rock, il y a du Beat Happening là-dessous. Quant à faire des rapprochements plus universels, on s'amuserait bien à imaginer un duo Bertran de Born / Brigitte Fontaine (Ah ! quand même !), soit un troubadour mal embouché roucoulant de sa plus mâle voix sous les fenêtres d'une dame de haut rang, désirable, un rien illuminée, drôle en même temps que super classe. Éloïse Decazes sublime un registre vocal qu'on l'imagine pratiquer au long du jour, appelons ça le fredon, la chanson du quotidien, celle qu'on ressasse vous et moi la bouche presque close et sans talent. Elle, stimulée par son inusable prétendant, porte ce fredon au rang d'art majeur.
Longue vie à Arlt ! Qu'ils soient heureux et nous fassent encore de beaux petits disques, toujours plus loin, toujours plus haut. Petits disques deviendront grands.

frugalité = richesse




Il y a quarante ans sortait le ciné-poème Les saisons de Artavazd Pelechian. Dans le registre de l'horreur, Nuit et Brouillard de Alain Resnais avait scellé la fin de la croyance aux forces créatrices de la culture. Dans celui de la beauté, Les saisons marque la fin d'un monde où la joie et le courage l'emportaient sur ce qu'on se borne aujourd'hui à voir comme de la pauvreté. On fait souvent le reproche à ceux, qui comme moi, ont quarante ans ou moins et qui sont nés après la sortie du film, d'être nostalgique. Mais comment ne pas l'être. Non contents de subir les crises, nous avons aussi perdu la possibilité d'être solidaires, dignes, joyeux. Si entrer dans un film comme Les saisons pouvait permettre d'en ressortir avec le sentiment d'être vivant, le cinéma retrouverait une vrai légitimité. Mais le cinéma n'est même plus un petit grain de sable dans l'implacable machinerie publicitaire des forces de destruction. Alors...

lundi 23 avril 2012

moderne vie sauvage


Thomas Bonvalet in Modernes vies sauvages de Suzanne Husky
 
"Soir délicieux, où le corps entier n’est plus qu’un sens, et par tous les pores absorbe le délice. Je vais et viens avec une étrange liberté dans la Nature, devenu partie d’elle-même. Tandis que je me promène le long de la rive pierreuse de l’étang, en manches de chemise malgré la fraîcheur, le ciel nuageux et le vent, et que je ne vois rien de spécial pour m’attirer, tous les éléments me sont étonnamment homogènes. Les grenouilles géantes donnent de la trompe, en avant-coureurs de la nuit, et le chant du whip-pour-will s’en vient de l’autre côté de l’eau sur l’aile frissonnante de la brise. La sympathie avec les feuilles agitées de l’aune et du peuplier me fait presque perdre la respiration ; toutefois, comme le lac, ma sérénité se ride sans se troubler. Ces petites vagues que le vent du soir soulève sont aussi étrangères à la tempête que la surface polie comme un miroir. Bien que maintenant la nuit soit close, le vent souffle encore et mugit dans les bois, les vagues encore brisent, et quelques créatures invitent de leurs notes au sommeil. Le repos n’est jamais complet. Les animaux très sauvages ne se reposent pas, mais les voici en quête de leur proie ; voici le renard, le skunks, le lapin rôder sans crainte par les champs et les bois. Ce sont les veilleurs de la Nature – chaînons qui relient les jours de la vie animée." (Henry David Thoreau, Walden)
Suzanne Husky dessine, photographie, collecte, assemble. Suzanne Husky interroge les mondes nouveaux qui s'ouvrent. Suzanne Husky fait du bien. On en reparle bientôt.

abstract folk

 

Un nouvel album de Thomas Bonvalet, mieux connu sous le nom de l'Ocelle Mare, vient de sortir en cd chez Murailles Music / Souterrains Refuges. On attend avec gourmandise la publication du vinyle aux Potagers Natures / Ouse Records / Bimbo Tower. Pour prendre patience, on peut écouter Serpentement 1 ici ou visionner la vidéo ci-dessus qui donne une assez juste idée de ce que peut être une performance de cet inclassable chercheur de son. En quelques années, Thomas Bonvalet a inventé une musique d'un genre nouveau, qu'on sera tenté de qualifier, si on veut absolument céder à l'estampillage, de folk abstrait, abstract folk pour les francophobes. En réalité, la musique de l'Ocelle Mare fait la part belle au corps. Frappements de mains, battements de pieds, percussions corporelles, cette musique est en fait très physique, organique, viscérale, vivante, en un mot : concrète. En 1930, Théo Van Doesburg inventait la notion de "peinture concrète et non abstraite, parce que rien n'est plus concret, plus réel qu’une ligne, qu'une couleur, qu’une surface" (cf. manifeste de l'art concret). Alors concrete folk ou abstract folk ?

dimanche 22 avril 2012

Puech Gourdon Brémaud



"Dans la musique indienne, on a un thème général. Ce thème général a 4000 ans. Il faut le suivre. Et puis il y a une note générale qui est donnée par un instrument à corde, qui possède d'ailleurs une seule corde. Avant de commencer, on se met bien d'accord, et cette note, cette note, est répétée constamment de façon à ramener les autres instruments à une unité de ton. Il y a donc le thème et le ton et autour de ça on est libre. Je pense que c'est un système merveilleux et, exactement comme Jean Renoir à qui j'emprunte très humblement ces lignes, j'essaye de faire un peu ça au cinématographe." (Jean-Luc Godard, bande annonce de Une femme est une femme).
Ce n'est pas de la musique indienne et pourtant le trio Puech-Gourdon-Brémaud, fantastique machine à rêver des Monts d'Auvergne, joue de ce système merveilleux, retrouvant ce qu'on croyait perdu chez nous depuis des lustres, cette liberté autour du thème et du ton chère à Godard. Et si cette musique a certainement plus de mille ans, elle confine aujourd'hui grâce à ces trois-là à un phénomène qu'on n'imaginait pas proche parent de la bourrée : la transe psychédélique. Et pourtant, il aurait suffit d'écouter. Eux l'on fait.